Peter Handke
Source : la presse.ca
Académie suédoise a décerné, jeudi 10 octobre, le prix Nobel de littérature 2019 à l’écrivain autrichien Peter Handke.
Le jury a voulu récompenser une "œuvre influente qui explore les périphéries et la spécificité de l’expérience humaine". En France, ses écrits sont principalement publiés chez Gallimard, mais aussi chez Bourgois et Arche éditeur. Son dernier ouvrage traduit, Essai sur le fou de champignons : une histoire en soi, est paru en poche chez Gallimard en 2017. Son dernier ouvrage en grand format, Après-midi d’un écrivain : récit, a été publié en 2016 chez le même éditeur.
Icône du patrimoine littéraire d’Europe centrale avec plus de 80 œuvres à son actif, Peter Handke a reçu en 1973 le prix Georg-Büchner, la plus prestigieuse distinction littéraire allemande. Dramaturge, il reçoit également le prix norvégien Ibsen en 2014 qui récompense une personne ou institution qui a apporté de nouvelles dimensions artistiques dans le monde du théâtre. Du prix Nobel qu’il vient de recevoir, il pensait qu’il "faudrait le supprimer" car "c’est une fausse canonisation".
Né en 1942 à Griffen, en Autriche, d’une cuisinière slovène et d’un soldat allemand, Peter Handken vit en France depuis bientôt 30 ans. Il découvre les classiques à l’adolescence, dont Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos qui "l’abreuve du sang noir du catholicisme". Il commence à écrire dans le journal de son lycée puis suit des cours de droit à l’université.
A 24 ans, il publie son premier roman, Les frelons (Gallimard, 1983, traduit de l’allemand par Marc de Launay), un manifeste contre l’impuissance de la littérature à décrire la réalité. La même année, il fait sensation avec sa première pièce Outrage au public où s'entrechoquent injures aux spectateurs, messages de désarroi et critique radicale de la littérature engagée.
Il acquiert sa notoriété au début des années 1970 grâce à deux ouvrages : L’angoisse du gardien de but au moment du penalty (Gallimard, 1972, traduit de l’allemand par Anne Gaudu), adapté au cinéma par Wim Wenders, pour qui il écrit le scénario Les ailes du désir, et Le malheur indifférent (Gallimard, 1975, traduit de l’allemand par Anne Gaudu), dédié à sa mère.
Influencé par les Français Claude Simon et Alain Robbe-Grillet, figures du Nouveau Roman, il développe une prose subversive, tranchante et intense, où la sensation prime sur la pensée. Il attaque les principes esthétiques du "Groupe 47", qui domine les lettres allemandes de l'après-guerre et oppose un refus radical à l'usage préétabli de la langue. Le thème sera au centre de son œuvre.
"Je suis un penseur de l'instantané : je ne suis même que cela. Narrer ne m'intéresse pas, mes intrigues sont masquées, enfouies ; je préfère réaliser, au sens où l'entendait Cézanne", expliquait-il au Figaro littéraire en 2011. La migration, la solitude, rythment une œuvre foisonnante : une quarantaine de romans, essais et recueils, une quinzaine de pièces de théâtre, mais aussi des scénarios de cinéma.
Rare intellectuel européen pro-Serbe, il consacre une partie de son œuvre à son engagement politique. A l'automne 1995, quelques mois après le massacre de Srebrenica, il part en Serbie et rapporte ses impressions de voyage dans un livre controversé, Voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina (Gallimard, 1996, traduit de l’allemand par Georges Lorfèvre). Trois ans plus tard, il rend le prix Büchner pour protester contre les frappes de l’OTAN sur Belgrade.
En 2006, il provoque un tollé en se rendant aux funérailles de l'ex-président yougoslave Slobodan Milosevic, accusé de crimes contre l'humanité et génocide. Il est contraint de renoncer à un prix que doit lui décerner la ville de Düsseldorf et la Comédie-Française déprogramme l'une de ses pièces. Des intellectuels, dont sa compatriote Elfriede Jelinek, prennent sa défense. Mais la polémique occulte pour un temps médiatiquement le travail de Peter Handke.
Il est fait citoyen d’honneur de la ville de Belgrade en février 2015. Il consacre notamment la dotation d’un de ses prix à la construction d'une piscine publique dans une enclave serbe du Kosovo. "Père, ne leur pardonne surtout pas", lance-t-il l'an dernier lors d'une visite dans la capitale Serbe, paraphrasant la Bible pour vilipender les dirigeants occidentaux des années 1990 qu'il juge responsables de la guerre.